Profanations by Giorgio Agamben

Profanations by Giorgio Agamben

Auteur:Giorgio Agamben [Agamben, Giorgio]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Rivages
Publié: 2014-11-08T23:00:00+00:00


S’il en est ainsi, s’il n’est d’autre bonheur que celui que nous éprouvons quand nous nous sentons capables de magie, la définition énigmatique que Kafka donne de la magie devient transparente : la magie c’est quand on appelle la vie par son nom propre et qu’elle vient, « parce que telle est l’essence de la magie qui ne crée pas mais appelle ». Cette définition s’accorde avec l’antique tradition que les kabbalistes et les nécromanciens ont toujours scrupuleusement suivie et qui définit essentiellement la magie comme science des noms secrets. En effet, en plus de son nom manifeste, chaque chose, chaque être possède un nom caché auquel il ne peut pas ne pas répondre. Être un mage c’est connaître et évoquer cet archi-nom. De là, les listes interminables de noms (diaboliques ou angéliques) par lesquels le nécromancien s’assure un pouvoir sur les puissances spirituelles. Le nom secret n’est pour lui que le sceau de son pouvoir de vie ou de mort sur la créature qui le porte.

Mais il est une autre tradition, plus lumineuse, selon laquelle le nom secret n’est pas le chiffre de l’assujettissement de la chose à la parole du mage, mais bien plutôt le monogramme qui sanctionne sa libération du langage. Le nom secret était ce nom par lequel la créature avait été appelée dans l’Éden, et en le prononçant, tous les noms manifestes, toute cette Babel des noms volent en éclats. C’est pourquoi, selon la doctrine, la magie est un appel au bonheur. Le nom secret est, en fait, le geste par lequel la créature est restituée à l’inexprimé. En dernière instance, la magie n’est pas la connaissance des noms, mais le geste par lequel le nom est arraché à la puissance du mage. Voilà pourquoi il n’est pas de plus grand bonheur pour un enfant que de s’inventer une langue secrète. Pourtant sa tristesse ne provient pas de ce qu’il ignore les noms magiques, mais de ce qu’il ne parvient pas à se défaire du nom qui lui a été imposé. À peine y a-t-il réussi, à peine a-t-il inventé un nom, qu’il serre entre ses mains le laissez-passer qui le livre au bonheur. Avoir un nom, telle est la faute. La justice est sans nom, comme la magie. Privée de nom, heureuse, la créature frappe à la porte du pays des magiciens. Ils ne s’expriment que par gestes.



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